Pour eux
Mésangeon la belle
BOUM , le baby boom, c’est ainsi que l’ on nomme la période historique de ma naissance, le big bang salue la naissance du monde, le Baby Boom, la mienne, sonnant l’espoir post libération, l’avenir d’une France glorieuse sauvée de justesse par les américains. C’était l’aube de ces soixante dix années exceptionnelles que je vais vous les raconter, telles que je les ai vécue.
Je suis né au milieu de la Beauce, à la ferme de Mésangeon, (commune de Beauvilliers canton de Voves en Eure et Loir, à
26 km au sud de Chartres) d’un accouchement maison, sans problème, avec le nez de travers et le reste à peu prés en bon état. Mon père arrangea mon nez en le redressant avec un sparadrap. Mon nez à grossi mais il est resté droit.
Le 11 décembre 1945 Mésangeon abritait donc un jeune couple avec son premier et beau bébé.
Suzanne, ma maman. Une « Pelard-Faucheux », jeune femme bien comme il faut, brune et élégante, au regard profond, fille de Jules Pelard, maire radical et de ma douce grand-mère Andrée Faucheux, marchands de vin et agriculteurs à Rouvray Saint-Florentin, juste derrière Voves, à porté de vélo de Mésangeon.
Maman avait eu une jeunesse où cohabitaient au bord d'une coure longue et étroite bordée d'anciens bâtiments agricoles devenus entrepôts pour vins et spiritueux, deux familles. Père et oncle ne ressortaient pas toujours frais de la cave mais les femmes veillaient. Aînée d’un frère, d’une sœur et d’une ribambelle de cousins. Promiscuité assumée mais difficile. Elle arrivait à Mésangeon intimidée sans doute par sa nouvelle famille. Douée pour le dessin et aimant la musique. Partageant de fait, les idées de son mari. Une bonne épouse et une bonne mère entretenant de bons rapports avec ses beaux-parents et toute la famille en général.
Pierre, mon père. Un « Pelard Benoist » qui entrecroisait les Pelard Faucheux sept générations plus tôt. L’ ancêtre commun s’appelait Jacques Claude Pelard. Comme moi !
Mon Père avait passé sa jeunesse dans la magnifique ferme de « Villeneuve la vierge » s’il vous plaît ! Ferme construite par les hospices de Chartres à la fin du 19 émet siècle, rigoureusement implantée au milieu de trois cents hectares de terres sèches. Modèle du genre, la structure militaire des bâtiments en imposant à quiconque passait à proximité. Notre arrière-grand-père, Sosthène avait fait très fort le jour ou il avait soumissionné à la reprise de la ferme. Un grand pas pour l’avenir des Pelard. Son fils, mon grand-père Gilbert lui succéda. Un calme, posé et serein qui rapprocha les Pelard de la famille Benoist en épousant Sophie Benoist. Cette alliance devait souder une famille atypique les Pelard - Benoît, profondément progressistes, humanistes, athées, à une époque ou la bourgeoisie agricole fréquentait davantage le clergé que le Parti radical-socialiste.
Papa, tardillon d’après guerre, petit dernier de 5 enfants, s’était forgé un peu à l’écart de ses grands frères, il les admirait, et toute sa vie, voulut leur montrer et prouver son identité. Dans ce grand environnement soufflait toujours un air de liberté, de sciences, de philosophie, de politique, d’imagination, de passion, de sport et il faut bien le dire, de supériorité.
Mes parents avaient fréquenté le Lycée de Chartres sans y avoir brillé, mais suffisamment curieux pour apprécier et comprendre beaucoup de choses et nous les transmettre avec les fondamentaux que sont le bon sens et la perception de la nature et des hommes. Tous les deux partageaient notre éducation, en couple unis et solidaire, fidèles à leurs convictions, celles de mon père, nous programmant pour aborder un avenir sûr et certain, enfin celui qu’ils imaginaient. .
Dix huit mois plus tard le trente avril 1947 arrivait mon frère Luc, le nez droit et l’œil vif.
Mon petit frère, dit Lurette, je n’en ai pas trop de souvenirs de prime enfance. Je le trouvais un peu cabochard et facile à mettre en boule. J'en profitais car c’est amusant de décider de l’état dans lequel on va mettre quelqu’un. Il jouait beaucoup avec ses petites voitures et n’était pas très préteur. Il avait l’œil noir comme un taureau, surtout quand il était de mauvaise humeur, à ce propos, mon père inventa le verbe « Tauriauter » conjugué uniquement à la troisième personne exemple Lurette Tauriaute.
Notre enfance a été bercée des mêmes valeurs. Très indépendants l’un de l’autre, lorsque nous nous rapprochions, c’était en général pour nous battre ; épée, boxe, jet de pierres, tennis, billard, sportivement, tout moyens bons pour frapper l’autre. A soixante dix ans passés la suprématie sportive de l’un n’est jamais bien vécue par l’autre. Mais sans jamais déstabiliser notre attachement familial ni nos valeurs communes, et sans entamer une fraternité même si elle n’a toujours existé que de loin.
La ferme de Mésangeon, était située dans une vallée sèche se transformant tous les vingt ans en une large rivière noyant les labours, nous appelions cela "les eaux" Grâce à cette situation géographique, distante de plus d’un Km du hameau le plus proche, Mésangeon était une sorte d’oasis beauceronne, avec sa mare et ses grands peupliers, une coure carrée traditionnelle, le pigeonnier central dont le toit dépassait tous les autres. Dernier signe seigneurial, le donjon de mes souvenirs. A l’extérieur, deux grands hangars noirs, accroupis, dos au vent d’ouest, couverts d’ardoises protégeaient le tout. Mésangeon c’était une pointe de romantisme dans la rigoureuse plaine beauceronne. Outre le fait d’entretenir les cultures en précurseur mon père n’avait de cesse d’améliorer l’endroit. Il avait réunis des petites mares pour en faire un petit étang baignant le pied des bâtiments et le court de tennis. Les lisses blanches soulignaient les rosiers et des pelouses bien tondues. Les vieux peupliers avaient été renforcés par la plantation d’une centaine d’autres. Mésangeon avait beaucoup de charme nous offrant une qualité de vie exceptionnelle. Le développement des techniques agricoles, les performances et les rendements des céréales y étaient, avec le marché commun agricole, pour beaucoup. Bien que relative l’aisance était là. C’était le début des trente glorieuses.
Mésangeon était notre citadelle. Que pouvait-il nous arriver là sur nos terres, dans notre ferme, notre maison, mon paradis, ma liberté.
Cette belle ferme, mes parents, mon frère et notre grande famille seraient le cadre de ma jeunesse, mes racines, des grosses racines bien ancrées dans les bonnes terres de Beauce.
Mes premiers souvenir, les plus lointains, c’était la Loute, chienne bâtarde un peu Bas-rouge qui gardait ma poussette. Mes visites à l’étable, avec cette odeur de son de blé et les deux dernières vaches normandes, gentilles bêtes aux gros yeux sévères cocardés de grosses taches rousses. Le veau qui tétait mes petits doigts avec sa langue gourde et rugueuse. La giclée de lait que m’envoyait le vacher lors de la traite.
A l’écurie, odeur de cheval et de cuir, il y avait encore 3 chevaux ; Papillon, Sultan, grands percherons blancs gris pommelé et Vermouth le cheval de cour que j’appelais Guermouth, un ardennais alezan adorable qui resta plus longtemps. J’entends encore le bruit des harnais et de leurs sabots lourds trébuchants sur les pavés de l’écurie. C’est grand un percheron vu par un enfant de 4 ans. Je me souviens aussi avoir vu le vétérinaire fouiller dans le la crinière de l’un d’eux avec des grands ciseaux et le cheval ne bronchait pas. Une leçon.
Après les moissons, il y avait le battage ou les hommes enfournaient dans une batteuse les gerbes stockées sous les grands hangars noirs. La batterie se composait d’une succession d’engins redoutables. S’ajoutaient au « poum poum » d’un tracteur mono cylindre, le sifflement et le claquement répété des longues courroies entraînant la batteuse. Dans son prolongement la monstrueuse presse à ballot avec cette grosse tête à grandes dents qui sortait du fond de la machine comme celle d’un dinosaure et venait engloutir la paille à grand bruit de butoir. Dans la poussière s’agitaient les gars de batterie encapuchonnés avec des sacs repliés, cet accoutrement leur donnait des allures de moines aux faces patibulaires. Tout cela n’arrivait pas à effrayer ma curiosité. Je m’échappais de la maison pour entendre voir et sentir se tintamarre, cette agitation poussiéreuse des grands jours de la vie d’une ferme . J’en ai même ramené la galle et quelques réprimandes pour ces fugues instructives.
Dans la série des peurs d’ enfants. Les routes communales n’étaient pas goudronnées et nécessitaient d’être souvent réparées.
Des nids de poules se formaient. Des petits tas de pierre était disposés au long de la route , les cantonniers les utilisaient pour combler ces trous. Les jours suivants intervenait le fameux cylindre à vapeur que je considérai encore comme un animal monstrueux.
Le rouleau compresseur s’annonçait au loin, carillonnant de ses roues métalliques, puis s’approchait hésitant, avançant et reculant, passant et repassant pour tasser, concasser et niveler les pierres . Lorsqu’il était tout près je refermais la porte du jardin ou je me tenais stratégiquement prêt au repli. Puis le vacarme s’éloignait pour que je reprenne courage. L’engin roulait tout doucement revenant parfois sur ses pas, relançant ma frayeur puis s’éloignait pour de bon, recommençant ses manœuvres plus loin. Luc m’a fait part aussi qu’il n’en menait pas large…
Il y avait aussi tous ses gens qui servaient la ferme et qui laissent immanquablement des souvenirs. Je vois encore les visages rougis des tâcherons qui venaient biner les betteraves; ils étaient bretons, l’un d’eux, Ferdinand nous effrayait en faisant claquer son dentier hors de sa bouche. Je crois qu’avec lui j’ai partagé mon premier morceau de lard salé et mon premier coup de « cide » lorsque j’entend l’accent breton je les entends parler et déplier leurs canifs en poussant le banc du réfectoire, je sent encore l’odeur du rata, du pot au cochon et un peu de la sueur humaine. C’était bon.
Alfred l’Estonien il avait fait la guerre, enrôlé par les Russes, et à juste raison n’était pas retourné au pays. Lui aussi avait un bel accent et connaissait suffisamment le français pour nous apprendre à dire « merde » Il eut une vie un peu mouvementée et pris la gérance d’une station service.
Le père Duval dont un œil faisait faute, en inclinant suffisamment sa casquette cela ne se voyait pas. Il fit plusieurs passages à la ferme, vacher bien sur, il partit avec les vaches puis il est revenu comme jardinier. Maman, patronne du potager, l’avait aussi à l’œil.
Joseph avait quelque chose du champion cycliste Louison Bobet. Arrivé comme tâcheron et remarqué par mon père, excellent ouvrier, il fit toute sa carrière à Mésangeon, Je lui dois beaucoup de savoir-faire. Il fût ce que l’on appel maintenant mon maître d’apprentissage.
Tous avaient des casquettes en toile bleu délavé, comme leurs habits de travail. Le dimanche ils portaient les mêmes, mais en plus neuf, c’est à dire bleu foncé.
Il y avait François que nous avons nourri pendant très longtemps il n’a jamais perdu son accent breton, c’était un gentil bonhomme. La vie au contact de tous ces gens dans leur travail a été la base de mes rapports humains et de mon apprentissage du respect.
Hilario réfugié républicain de la guerre d’Espagne avait sans doute réglé leur compte à quelques curés, Il avait traversé la frontière avec une voiture, à toute vitesse, coincé dans des matelas pour échapper à la mitraille. Comment était il arrivé à Mésangeon ?… lui n’avait jamais réussi à parler correctement le Français il avait une expression genre « Ka oun déo » un compliment au bon dieu en espagnol que je retins très vite. Je l’aimais bien. Il menait le « société française » énorme tracteur qui tirait deux socs. Une fois qu’il était engagé dans la raie de charrue il roulait une cigarette et nous laissait conduire. Ce fut mes premiers labours. Mes contacts avec la terre, le gas-oil et la graisse. Les corbeaux et les mouettes nous suivaient de près dans la raie de charrue pour piquer les vers de terre. Papa suivait à pieds pour faire les ultimes réglages. Je ne suis jamais lassé de regarder la terre jaillir des versoirs brillants, de voir la perspective du sillon filant droit à l’autre bout du champ. Hilario mourut à quelques jours de sa retraite et papa nous emmena le voir. C’était mon premier mort. Sa femme pleurait elle me fit mettre la main sur son front pour me faire remarquer qu’il était déjà tout froid.
Que ne m’ont –ils appris ? Une certaine sensibilité et sans doute un peu sens pratique au contact de tous ces gens. Je crois, au long ma vie les avoir toujours respecté et apprécié.
Faustine ma première nounou, petite bonne émigrée de sa Bretagne. Je n’en ai que peu de souvenirs mais je crois que je l’adorais, elle m’emmenait sur la route de Mauloup ,je lui cueillais des fleurs.
Joseph avait ramené sa compagne Sidonie, bretonne elle aussi, elle fût notre cuisinière mais je m’en souviens davantage comme garde d’enfant. Les parents n’hésitaient pas à nous confier à Nini dés qu’ils sortaient, dîners de chasse ou autres. Elle n’hésitait pas à nous coller une gifle, c’était les consignes, nous ne nous en sommes jamais plaint. Nini avait une très belle peau lisse et les traits fins, un air un peu sévère et bien sur l’accent breton. Papa avait aménagé un logement de deux pièces dans les granges, avec vue sur la mare. Quelques fois nous y allions coucher, c’était de l’autre coté de la cour, cela avait un petit air de vacances. Joseph et Sidonie se sont retirés en Bretagne.
La brave Olga avait travaillé chez mes grands parents et élevé en partie maman. C’était une femme de confiance sont mari avait été gazé à la guerre de 1914 et disparu peu temps après sa libération. Nous l’avions récupéré tout d’abord comme couturière. Agée d’une cinquantaine d’année, un peu forte, lunette et chignon blanc. Elle venait en vélo de Voves, effectuer quelques heures pour repriser, raccommoder et repasser le linge et puis on l’installa à la maison. Elle y partagea la vie de la famille pendant une bonne dizaine d’années. Employée de maison, gouvernante, cuisinière. Je ne sais en réalité qui commandait l’autre, de madame Pierre devant les étrangers, de Suzanne en cuisine ou Olga, qui était la patronne ? mon père remettait de l’ordre de temps en temps.
A vrai dire nous n’étions pas toujours faciles, loin de nous corriger, elle ne pouvait que cafarder aux parents nos exploits répréhensibles.
Elle couchait pendant un bon moment dans la chambre située entre celle des parents et la notre.
Rétrospectivement je ne supporte pas bien cette intrusion dans notre intimité familiale. Et comment les parents ont-ils supporté également cette présence.
Elle nous servait à table et apparaissait au coup de sonnette. Elle regardait le soir la télévision avec nous. Je sens encore son odeur de couturière odeur de fils, de laine, de tissus. Ensuite elle déménagea dans une chambre à coté de la cuisine.
Elle vivait en blouse gris foncé, très propre avec un gilet de laine tricoté, elle tricotait beaucoup, elle allait couper de l’herbe pour les lapins, elle les tuait aussi. Olga, moi je l’aimais bien en cuisine. Elle faisait de bonne chose et ne mégotais pas sur le beurre dans les pommes de terre sautées. Comme elle lavait toujours la cuisine à « grandes eaux » j’ai aussi conservé son image avec son balais son éponge et ses ronchonnements. J'avais fait son portrait au crayon pendant qu'elle cousait, bien ressemblant, je lui ai offert.
Olga était très respectueuse et admirative de Monsieur Pierre, le triomphe de l’autorité. Nous elle nous aimait sans doute beaucoup, moi j’aurai bien voulu qu'elle me respecte comme mon père... Mais je n'étais qu'un gamin. Ah! si elle avait été anglaise et la peau douce. Autour de nos quatorze ans nous aurions appris au moins l’anglais et qui sait bien d’autres choses. Nous n’en étions pas là à Mésangeon en 1955.
Olga ne m’apprit rien... Et peut être que si... Elle eu droit au pare brise de la 2 CV. J’avais 15 ans. Une de ces belles soirées de mai, je l’avais emmené chercher de l’herbe pour ses lapins empruntant la 2 CV, après avoir dépassé le 50 km/ h elle menaça de dénoncer aux parents cet excès de vitesse. Ce mouchardage en puissance, pour un service rendu m’énerva, alors bloquant les freins la brave dame fut projetée contre le pare-brise, cassant le siége par la même occasion. Le lendemain elle montra sa bosse aux parents et j’ai eu droit à un sermon. Pas très futé ce coup de frein. Mais bon, Olga ne l’avait pas volé.
Puis un jour Olga partit à la retraite. Je me souviens l’avoir vu quitter la ferme sur son vélo, sans comprendre que c’était la dernière fois. Elle m’en voulu de ne pas lui avoir dit au revoir. Pas facile de s’occuper des ados Pas facile d’entraver ma liberté. Mais Olga tes pommes de terre sautées étaient extraordinaires, du beurre beaucoup de beurre et Olga de s’exclamer lors d’un grand dîner
-Madame Pierre on a oublié le foie gras. Elle était connue de toute la famille.
Et puis je suis allé la voir dans sa maison de retraite et puis elle est morte emportant un peu de ma jeunesse.
A propos de voiture. Dans une ferme bien motorisée ou l’accès à tous les véhicules était à notre portée nous n’avions de cesse de grimper sur les tracteurs, de nous cramponner au volant, de repérer les systèmes de mise ne route et de nous familiariser à la conduite.
Papa nous appris aussi à nous débrouiller avec des stages sur ses genoux et les leçons complémentaires avec Hilario et Joseph. Vers 7 ans l’affaire était réglée. Nos premiers grincements de vitesse, jambes trop courtes obligent, avec la C4 dans les champs et puis d’aventure sur la route. Luc atteignit en premier le 50 km / heure. Nous avions 6 et 7 ans. Un peu plus tard maman nous laissait conduire pour aller à Voves. Les gendarmes la saluaient et lui recommandaient ; de faire bien attention, sans plus .
Nous étions des rois.
Pendant toute cette période notre vie fût délicieuse. A noël papa faisait de véritables folies compensant quelques manques de jeunesse et nous trouvions dans la cheminée des jouets magnifiques. Au printemps nous faisions des tours de plaine assis dans le fond de la C4 puis de le 2 CV, un peu long, nous nous chamaillions avec mon frère. On y appréhendait les travaux des champs, la reconnaissance des différentes cultures, la différence entre le lièvre et le lapin, le comptage rapide des perdreaux, Au jardin nous semions nos radis et repiquions des salades on soignait les volailles. L’été maman remplissait un baquet à lessive d’eau tiède et elle avait du mal à nous sortir de cette superbe piscine pour aller voir les moissonneuses batteuses.
A l’automne c’était la chasse précédant de quelques jours la rentrée scolaire là, c’était une autre histoire.
Notre liberté avait ses limites certes, mais l’expérience me montre tous les jours qu’il n’y avait rien de plus fantastique que de vivre à cette époque, au milieu des champs dans cette belle ferme. Mes souvenirs me disent que nous étions des petits seigneurs à qui beaucoup était permis.
Une saine liberté, bordée des valeurs essentielles que la nature impose et l’humanisme familial.
L’école de Beauvilliers 1950-1956
Je me souviens de ma rentrée à l’école maternelle de Voves des tables rondes chêne clair et de n’avoir résisté à la tentation de tirer sur les longs cheveux de ma voisine. Mes souvenirs de l’école publique de Beauvilliers sont plus précis. Je vouais une véritable admiration à mademoiselle Clouet, l’institutrice. Rêveur et adorable ( sans doute) je l’avais aussi séduite. Elle m’a appris à lire mais sans réussir à me familiariser à la grammaire. J’ai surtout appris à faire germer des petits pois dans du coton, à faire du pain, j’ai beaucoup regarder grossir les têtards dans le bocal à coté de l ‘aquarium au poisson rouge. A la récré je retrouvais mes grandes cousines de Villeneuve. Edith et Françoise, elles avaient des blouses bleues et roses les nôtres étaient grises plus ou moins foncées.
Derrière les grilles surplombant un muret, deux caniveaux pavés guidaient l’accès au perron de l’école, trois marches devant lesquelles nous regroupions avant de rentrer en classe ; Un couloir central faisait office de vestiaire et partageait le bâtiment. A gauche les appartements de l’institutrice. A droite la classe ; son tableau, son estrade, son poêle et ses tables avec leurs encriers débordants d'encre violette. Ses odeurs changeantes au grès des saisons, du tissus des blouses neuves, de la poussière de craie, et celle du poêle au charbon rougissant son tuyau fraîchement repeint au « minium ». Qui oserait maintenant installer des enfants dans une telle chambre à gaz.
La cour était souvent partagée entre les filles et les garçon, nous nous tenions plutôt vers les tilleuls typiques des cours d’école, ceux qui enseignent les saisons, les bourgeons printaniers d’ou s’échappent des feuilles tendre et fripées, puis celles que nous épluchions pour faire des araignées, celles qui s’accumulent à l’automne le long des grilles et puis ces branches tronquées tendues vers les neiges de février. Nous mangions dehors le midi ou sous le préau . Le préau, abritait aussi les cabinets, porte basse pour les garçons, haute pour les filles et un beau cabinet pour l’institutrice Il y flottait une odeur de ces petit cacas à coté du trou, des virgules desséchées juste un petit avant goût des WC du lycée et de la caserne, un avant goût du genre humain.
Mademoiselle Clouet était une mère, elle n’hésitait pas à appeler à la maison pour demander à mes parents d’apporter en urgence la culotte que j’avais oubliais de mettre le matin sous ma blouse.
Cette école est devenue la mairie de Beauvilliers.
Ensuite le suis passé à la grande école, cachée dans une petite rue du village. L’instituteur était Monsieur Géroult avec qui mes rapports se compliquèrent Mais je retrouvais l’école de mon père, ces lieux communs, où les générations se suivent, gravant les souvenirs à l’identique.
A cette époque les locaux de la mairie était situé dans la même petite coure, de temps en temps la visite du Maire , mon oncle Jean Jacques, ravivait ma fierté. Je les revois et les entend encore , enfants d’ouvriers agricole, paysans ou artisans il n’y avait aucune différence entre nous et j’étais copains et admis de tous.
Puis notre vieille école fut abandonnée au profit d’un magnifique groupe scolaire, fierté de la commune. D’un seul coup l’école changea avec ses locaux modernes, une cantine, une coure bitumée, des pissotières modernes. Je retrouvais mon frère et aussi que la fille du maçon était jolie avec son nez retroussé et ses boucles d’oreilles…Le midi nous prenions nos repas dans la cantine et à 16 heures Guy Mollet, premier ministre de l’époque, nous faisais distribuer un goûter pour nous faire boire la surproduction laitière.
Il y eut ce fameux hiver de 1956, le thermomètre flirta avec les moins 20, les blé gelèrent et nos genoux rougis eurent droit à leur premier pantalon, un genre de fuseau de ski avec une bride sous le pied, acheté à la maison Sicot à Voves. Vive l’hiver.
Ma carrière en ces lieux se termina par un échec total à l’examen d’entrée en sixième. cela ne présageait rien de bon pour l’avenir, et m’envoya directement à l’hôpital psychiatrique de Bonneval. Mes parents ayant décider de connaître toute la vérité sur ma médiocrité et mon inaptitude à supporter un minimum d’instruction... Les résultats des tests durent les rassurer, car ils m’ont ramené à la maison. L’école étant obligatoire j’allais poursuivre mes études à l’école de Voves, en classe de préparation au certificat d’étude primaire.
Le cours complémentaire de Voves 1957-1962
1957, Je fis donc ma rentrée au cours complémentaire de Voves, 4 km, deux de plus que l'école de Beauvilliers. L’éloignement ne faisait que commencer.
Situé en face de l’école des sœurs, le cours complémentaire était dirigé par un abrutis blond ariens avec une petite moustache, les cheveux plaqués, les muscles de la mâchoire toujours en action, un petit air Hitlerien, une terreur plus craint que respecté.
J’intégrais donc cette classe pour préparer le certificat d’étude, mon nouveau tremplin pour la classe de sixième. Enfin…
Ce fut certainement ma meilleure année scolaire. Certes je ne la partageait pas avec de grands intellectuels, mais avec la chance d’avoir comme instituteur un gentil garçon, timide dans sa blouse grise, il s'appelait monsieur Varize, il aimait son métier, un vrai instituteur de la république comme ceux qu’on racontait dans les livres. Il prit soin de moi et de mon QI tira le meilleur. Il y avait dans l’armoire du fond, juste derrière moi, une série intitulée « Je sais tout » , des livrets ou tout était expliqué simplement, le moteur deux temps, à quatre temps, celui à réaction, la culture du blé , les lois de Maendel en passant par les centrales nucléaire, la marine marchande et que sais je encore … J’ai passé mon temps dans ces petits bouquins j’y ai appris plein de choses, même si je n’étais pas un as du calcul mental.
J’ai aussi appris que je portais un nom et qu’il suscitait quelques jalousies, ainsi combien de fois ai-je entendu « Ce n’est pas parce que tu t’appelles Pelard » comme si j’avais pensé que celui ci me confère quoi que se soit… C’était cela aussi la merveilleuse école publique, le mélange, l’apprentissage de la société.
Victoire à l’examen d’entrée en Sixième
Et retour dans le secondaire avec les bons, les tronches, les intellectuels, je me suis bousculé ainsi jusqu’en troisième pour obtenir mon brevet très élémentaire. Non sans avoir obtenu au passage le certificat d’étude primaire. Le plus beau diplôme qui n’est jamais existé, celui qu’obtenaient les meilleurs de la France profonde , les artisans, les bons ouvriers, les moteurs de notre économie , la garantie d’un savoir de base : le système métrique, la règle de trois et l’alphabet , suffisamment pour aller chercher le reste dans le dico.
J’ai partagé ces années avec mon frère, plus doué, pragmatique et bon en maths il développait une grosse mémoire, un certain talent pour le sport mais une petite faiblesse au niveau de la plaisanterie, qu’il prenait souvent mal, malgré tous mes efforts pour l’y entraîner.
Il avait défrayer la chronique, quand retenu après les cours par cet infecte directeur, pour avoir rendu un exercice de math’s juste, mais mal écrit, il avait mis en avant que son père écrivait mal et que cela ne l’avait pas empêché de cultiver deux cents hectares. Ce qui était vrai, mais ne méritait pas d’être cité en exemple dans une école républicaine et égalitaire.
Un jour il nous arriva une grande leçon. Nous croisions sur le chemin de la cantine un groupe d’élèves de l’école des sœurs, privée, dite libre, qui revenait encadré par des religieuses, de blanc encornées et de noir vêtues, quand un crétin cria « Croa Croa… » en imitant le corbeau. La scène revint aux oreilles du directeur. Sur les soixante élèves aucun ne vendit la mèche, ni l’imitateur évidemment . La vindicte directorial se fit fort de condamner les deux frères Pelard à copier mille fois « je ne crie pas Croa en croisant les religieuses de l’école libre » . Il fallait des exemples et qui plus mécréant que nous pouvait incarner les coupables. Le soir de retour à la maison, accablés, nous fîmes part de cette injustice au parents. Papa nous fit volontiers confiance mais nous demanda de faire les milles lignes.. « Apprenez l’ injustice, vous en verrez d’autres alors mieux vaut vous y habituer ». Les parents nous aidèrent à faire notre punition. Je m’en suis ressenti toute ma vie avec fierté et oui chez les Pelard ont respecte les bonnes sœurs et chez les directeurs d’école il y aussi des gros cons.
Luc partit au lycée faire sa troisième et moi j’ai suivit pour le retrouver en seconde.
Entre temps j’ai eu la chance de fréquenter ma grand mère paternelle, la tante Sophie pour les uns, mémé de Voves pour moi. Je couchais ainsi chez elle, dans une grande chambre triste et fraîche de cette belle demeure qu’avait construit Sosthene, notre arrière grand père, sur le Boulevard Collier Bordier entre le médecin et le notaire, tout prêt du cours complémentaire. En évitant les trajets à vélo deux fois par jours et en m’éloignant de la ferme, j’aurai du me consacrer davantage à mes chers étude ! Cela ne changeât rien, ci ce n’est que ma mémé me gâtait, elle me régalait de pâté de perdreau, de pommes de terre sautées de crêpes et de goûter au chocolat au lait, mélange de chocolat fondu chaud dans un petit pot avec le lait. C’était bon.
Et puis surtout, mémé recevait tous les jours vers 11 heures Papa, mon Oncle jean Jacques, les cousins et amis, Jacques Lhopiteau et André Bouquery. Avant leur arrivée elle avait lu Le Figaro, le billet André Frossard sans doute avant qu’il dise que dieu existe, et Brincourt et les articles de Raymond Aron. S’en suivaient les commentaires politiques, qui allaient bon train. Je n’en perdait pas une miette. Il n’était pas question que l’un d’entre eux partent sans un article à lire. Mémé provoquait régulièrement André. Il était de droite. Les « MRP » et les Gaullistes en prenaient plein les oreilles et André revenait toujours. Papa avait beau lui dire qu’André finirai par ne plus revenir, Mémé savait qu’elle pouvait compter sur la visite de ce grand ami de la famille. J’ai appris beaucoup au cours de ces discussions. Après avoir prodigué son socialisme, Mémé s’empressait d’appeler le maire pour qu’il fasse dégager les deux ou trois voitures qui encombraient son trottoir.
Le maire s’exécutait, pour privatiser, à l’attention de madame Pelard, cet espace somme toute bien public.
Afin de nous séparer, pour que je m'épanouisse davantage, Luc goûta l’internat du lycée Marceau avant moi. Je restais à Mésangeon. Tous les matins et tous les soirs je traversais la plaine sur mon Vélo. L’aller était toujours pénible, j’avais souvent le vent dans le nez. Mon père me doublait en cours de route. Il allait aussi à Voves, mais pas à l’école lui. Il arrivait dans la cour des établissements Duret, il pouvait se rincer l’œil avec les derniers modèles de tracteur ou de moissonneuses batteuses, il discutait affaire, il pouvait faire des projets, il se régalait avec son boulot. Et après il irait discuter politique avec mémé et l’oncle jean Jacques. Moi sur mon vélo je rêvais de cette vie là.
Je retrouvais le bonheur au retour, passé le virage de Rozelle, la ferme voisine, j’étais dans mes champs. Je voyait les tracteurs, et les ouvriers effectuer les travaux de saison. A la rentrée scolaire, commençait la récolte des maïs avec cette odeur mi sucrée, mi acide autour des machines et puis celle de café du séchoir. Les bruits bien particuliers des moteurs, que je connaissais par coeur, enveloppaient tous ces travaux. Cela m’intéressait plus que les exercices de maths pourrissants dans le fond de mon cartable. Suivaient les semis de blé. Ces travaux s’étalaient dans le temps et duraient plusieurs semaines. Quelques fois entrecoupés par des jours de pluie. Ces jours la, j’étais tout seul sur mon vélo fonçant tête basse sur la route étroites de mes études.
Trop de centres d’intérêts à la ferme, j’avais l’impression de déjà connaître l’essentiel. A quoi bon perdre mon temps avec des études obligatoires. Il y avait quand même des choses à apprendre en plus que de savoir régler un semoir ou une charrue.
De retour à la maison mes parents veillait à ma scolarité . Papa m’aidait en mathématique, mais je ne suis toujours pas sûr qu’il était vraiment doué lui non plus. Maman relisait mes rédactions et corrigeait mes fautes.. La télévision en était à ses débuts en noir et blanc, nous avions droit au journal télévisé et au feuilleton.
Le bonheur, il était dans la cour et dans les champs.
Enfin arrivé en troisième il fallait quand même sortir avec les honneurs. Face au mur mes parents m’aidèrent, bien sur, à prendre la décision de réussir mon brevet élémentaire, passage obligatoire pour rentrer au lycée. J’ai donc eu droit aux cours particuliers de math’s, physique, quelques dictées complémentaires pour domestiquer un peu mieux la grammaire. Mais la clé de la réussite à été la riche idée de mon père, de me confier à monsieur Baire professeur d’éducation physique. Deux fois par semaine j’avais un entraînement digne d’un champion, je soulevais des sacs de sable, travaillait mes abdominaux, je faisait beaucoup de gymnastique et tout ce qui concoure au développement d’un corps d’athlète. Bien sur il y a des limites, mais les résultats se voyaient vite et cela suffit à me donner le goût de l’effort. Je compris que c’était aussi valable pour tout le reste. L’effet a été immédiat j’ai eu la deuxième meilleure note en sport du département juste derrière un fils Egasse vague cousin et j’ai eu mon brevet haut la main. J’étais fin prêt pour rentrer dans ce magnifique lycée de Chartres, Le lycée Marceau.
Une autre histoire.
1960-1963 Lycée Marceau
Le lycée Marceau a hébergé toutes la famille. Ma grand mère Sophie l’avait vu construire, mon père et ses frères y étaient passés plus ou moins rapidement et beaucoup de mes cousins y avaient usé leurs pantalons, et quelques professeurs.
J'y suis donc arrivé en 1960. J'ai découvert le dortoir avec sa grande allée centrale bordée d'une vingtaine de lits de chaque côté et se terminant sur les lavabos , dès grand bacs alimenté par des rampes supportant des petites fontaines ou coulait une eau tiède. Mon lit était le premier en entrant à gauche . Le plus éloigné de la case du pion. Mon voisin avec qui j'ai tellement discuté politique s'appelait Jacques Pasques il était déjà inscrit aux jeunesses communistes , son père était cantonnier à la ville de Bonneval. J'avais mon armoire , ma trousse de toilette et mon premier rasoir Calor, mon beurre et mon chocolat et quelques rares bouquins en attente de lecture et surtout, mes affaires de sortie.
Le lycée c'était ces larges escaliers, les galeries qui distribuaient les salles de classe ou d'étude, la cour d'honneurs son monument aux morts de l’enseignement public, les bureaux du surveillant général et du proviseur. Le réfectoire, ses tables de marbre gras et l'odeur de soupe, tout dans le fond il y avait le cloître, les élèves de terminal pouvaient y fumer ...On apercevais les clochers de la cathédrale. Je les voyais comme des bras tendus vers la sortie.
J'arrivais plutôt bien disposé et le changement d'établissement avec ma réussite au brevet m'avait redonné un peu de confiance. J'ai donc bien travaillé, j'ai rencontré quelques professeurs super, particulièrement en Français et en sciences naturelles. J'ai retrouvé aussi mon prof de gym qui m'avait bien retapé . Pour le reste c’était moins bien. En fait, les cours qui me plaisaient j'y allais comme au spectacle sans effort, je me régalais et le travail que je fournissais c'était un peu comme des applaudissements, une façon de remercier la prestation de mes professeurs. Mais il n'y avait toujours rien en maths ou mon attention s'envolait toujours trop vite vers les champs.
La vie d'internat ne me déplaisait pas c'était une vie de groupe avec sa solidarité et une grande fierté par rapport aux externes; genre de demi portion qu'on tolérait malgré leur régime beaucoup plus souple. Une colle le jeudi n'ayant rien à voire avec celle d'un dimanche complet. Mais bon, c'était comme ça, on en verrait d'autre. J'étais copain avec tous ou presque. Je m'intéressais beaucoup aux autres , à ce que faisaient leur parents, là où ils habitaient et je compris que la plus part de ces gars n'avaient d'autre choix que de bosser pour réussir... et moi d'en conclure que ce n'était pas véritablement mon cas puisque de toute façon mon avenir était tracé depuis déjà longtemps. Je serai agriculteur dans une grande ferme, je serai patron, je connaissais déjà une bonne partie des ficelles du métier alors à quoi bon....
La seconde se passa bien j'étais sérieux mais j'avais pris mes marques, beaucoup d'assurances et fait le constat que pour la suite je n'avais plus rien à faire en ces lieux.
La rentrée suivante, hélas, je revins avec mes cigarettes pour effectuer ma première, première S, comme scientifique, car il y en eut une deuxième, la débandade, le naufrage, le gaspillage, la dérive enfin ma révolution à moi, mon 68 avant l'heure...l'adolescence d'avant la révolution... Mis à part du français et des sciences naturelles j'ai laissé tombé. J'ai lu, j'ai dessiné, écrit des petits poèmes et des lettres à ma grand mère, quelques unes à mes parents, des appels au secours non entendus... Pour faire court j'ai raté deux fois la première partie de bac qui se passait sur deux années.
Je me souviens des départs pour le lycée , déjà le dimanche vers 16 heures j'avais du mal à avaler ma salive. Le week-end end touchait à sa fin, je n'avait rien fichu, sauf de tourner en rond dans les hangars de la ferme. Le lundi monsieur Gommier venait nous chercher avec sa 403 Peugeot, elle sentait l'essence et les pommes de terre, déjà une odeur désagréable d'antichambre du lycée. Encore une semaine sans Mésangeon et son colombier. J'en dessinerai un pendant l'heure d'étude dés que j'aurai fini de recopier mes exercices de maths sur le cahier d' Yves Pichot...
Mais qu'est que j'allais foutre là, heureusement j'ai un peu lu, un peu San Antonio et Montaigne quelques bouquins sur l'économie. j'ai parlé politique avec mon communiste en restant toujours dans mon camps Rad-Soc... On sortait peu, promenade le jeudi au stade des grands prés, pour des mini parties de foot on y croisait rarement quelques demoiselles super encadrées. Je ne pensais et vivais que pour Mésangeon et ses champs.
Je garde ces deux années comme le plus mauvais souvenir de ma vie, mais, après tout, comment pouvait il en être autrement. Je vivais dans l’échec et le plus complet du « j’menfoutisme » Ah cette foutue adolescence..
L'année suivante je rentrai à l'école d'agriculture d'hiver comme surveillant et j'assistais au cours pour redéfinir les bases de mon métier.
L'école d'agriculture était géniale, ouverte du premier novembre à la fin février, de la fin des semis d'hivers au début de ceux de printemps. Le calme revenu dans les travaux des champs, cette école accueillait les enfants d'agriculteurs pour leur donner les fondamentaux du métier. À côté des cours théoriques, nous visitions chaque semaine une nouvelle ferme, les plus performantes de la région. En fait je visitais avec attention les fermes des oncles et des cousins et quelques autres bien-sûr. Chaque exploitant expliquant avec fierté comment il gérait sa ferme. Entre passionnés, tout le monde se retrouvait. De ces cours, sur deux fois 4 mois d'hiver, sortirent beaucoup de très bons agriculteurs beaucerons .
J'étais aussi surveillant, le soir au dortoir, il y avait un peu de bagarre de polochons, toujours conviviale et sans trop de débordement . Je ne me souviens plus de tous les élèves, je crois que je leur ai laissé un bon souvenir, c'était des gars du cru, des bon gars.
Le restant de l'année je retrouvais Mésangeon, ses labours, sa terre, ses odeurs, ses belles moissons, la liberté.
Le mot paradis me fait toujours sourire, comme si on pouvait imaginer mieux que la vie à la ferme. Comme elle était belle et romantique avec, son petit étang, son tennis, ses rosiers, les lisses blanches encadrant les pelouses et puis notre famille, la Chasse... notre fierté d'y être chez nous.
Rendre les choses et la vie belle était sans doute une ambition liée à la passion de mon père pour son métier. Il avait des idées à revendre. Elles sortaient de l'ordinaire et faisaient ma fierté. Elles ne suivaient pas toujours les règles économiques, c'était le prix à payer. La réussite fut la mise en place de l'arrosage qui devait changer le sort de la Beauce, les premier apports d'engrais en fonction des besoins des plantes, les séchoirs a Maïs , " économiques", l'emplois des roues cages et l'embellissement de la ferme, pelouses et plantations et les fameuses petites lisses blanches. Il y eut aussi quelques échecs coûteux, de mauvais investissement dans un abattoir de porcs et quelques inventions sans lendemain.
La Chasse
Dans ce contexte il y avait les chasses. À partir du vingt septembre date de l'ouverture, la chasse faisait partie de notre vie. La chasse était le divertissement de notre famille , celle des paysans en général, l'occasion de belles réunions , de rencontre, un véritable ciment familial. Nous pratiquions la chasse à tir. Nos premiers lance-pierres eurent vite fait de ne plus nous intéresser au profit d'armes de chasse plus performantes. J'avais récupéré un fusil à un coup que papa avait offert à notre cousin Etienne. D'ailleurs bien lui en pris car Etienne devint un des meilleurs fusils de Beauce.
Donc j'ai tué mon premier perdreau à la chasse à Mésangeon, en 1960 au coin des bâtiments, face à la mare. À côté de moi le garde fédéral Joubert, m'encourageait et me félicitait, bien que je n'ai pas mon permis faute de ne pas avoir seize ans. C'était une autre époque.
Il y avait chaque année des dates institutionnelles de jours de chasse dans toutes les fermes de la famille, enfin celles où nous étions invités.
Cela commençait par Moyencourt et Prunay le temple, respectivement chez Claude Benoist et l'oncle André, le jour de l'ouverture. Une véritable fête de famille, on y retrouvait tout nos cousins et nous avions tous à peu près le même Age conçus juste avant, pendant et après la guerre.Tout petit nous accompagnions nos parents comme « porte carniers ». On portait les perdreaux encore chaud, apprenant à abréger leur souffrances, nous ramassions les cartouches vides aux étuis en carton colorés et puis de temps en temps il y avait aussi un gros lièvre à remonter du fond des garennes, on savait fièrement le faire pisser appuyant sur sa vessie, à Moyencourt il était au menu le soir, en civet .
Le mardi suivant il y avait la chasse à la Bourdiniere chez Raymond Bouquery et puis le mercredi c’était Saint Léger chez les Pénél et ainsi de suite jusqu'à interruption du fait de rentrée scolaire. Il y avait heureusement quelques dimanche , Villeneuve, Auffains. A Mésangeon c'était tard, pendant les vacances de la toussaint, les perdreaux avaient pris de l'aile et volaient vite.
A cette été époque il y avait encore pléthore de gibier et il n'était pas rare d'afficher des tableaux de 250 perdreaux et de 50 lièvres, le record ayant été de 520 perdreaux à Villeneuve c'était dans les années 1970. Et puis l'emploi des insecticides sur les céréales n'a pas été propice à la survie des petits perdreaux, fautes de pucerons, leur nourriture. Les perdreaux devinrent rares et rien ni fit pour remonter la population de cet oiseau merveilleux et si bon !
Nous chassions en faisant des grands fermés, 150 ou 200 ha . Les chasseurs étaient transportés en remorques ou camions autour des champs et puis à partir de là ils convergeaient vers le centre de la battue, certains sautaient vite pour regagner les bonnes places, souvent les mêmes...C'était tout un art de bien manœuvrer le gibier avec le vent et de faire marcher tous ce monde en ligne et à bonne distance les uns des autres. Le gibier ainsi emprisonné s'échappait en franchissant le cercle ou la ligne de chasseur, la difficulté du tir varie en fonction du vent, et des saisons. A la fin de la battue pendant que les chiens reniflaient le gibier déposé au sol, il y avait les commentaires, les heureux qui étaient bien placés et avaient bien tiré, les râleurs qui n'avait rien vu ou qui s'était fait dégommer sous le nez un perdreau par leur voisin, ceux qui était sur d'avoir mis du plomb à un perdreau qui volait toujours, D'autres continuaient de rappeler les chiens partis au loin derrière un lièvre, certains arrondissait le compte de leurs victimes semblant ignorer que leur voisin avait tiré le même perdreau.. Vers quatre heure, entre deux battues la chasse s'arrêtait et il y avait un bon chocolat des croissants et de la brioche, puis on repartait. C'était des moments privilégiés pour des privilégiés. A la fin de la chasse nous faisions le tableau, en alignant respectueusement les gibiers, c'était impressionnant ces escadrilles de perdreaux morts. Par quatre, par cinq, on comptait les petit tas, et les grand lièvres allongés. C’était le résultat de la journée, puis on partageait entre tous les chasseurs et le personnel de la ferme.
Le garde fédéral recevait une bonne pièce, ce qui expliquait peut être sa mansuétude.
Enfin en interrogeant la quarantaine de chasseurs sur leur réussite on pouvait s'attendre à un chiffre total un peu supérieur au tableau réel. Comme nous étions trois il n'était pas rare de rentrer avec une ˆ douzaine de perdreaux et un ou deux lièvres.
La partie de chasse c'était aussi l'occasion pour le fermier de mettre un bon coup de balais dans la ferme, les tracteurs et le matériel alignés sous les hangars dépoussiérés, le gravillons des cours ratissés, les pelouses tondues, chacun affichait sa passion, son organisation, son professionnalisme et pour moi cela a été toute ma vie un exemple à suivre. A midi trente les voitures arrivaient dans la cour laissant leurs traces sur les gravillons fraîchement ratissés, c'était l'époque des DS Citroën, on aurait dit un conseil des ministres, il ne nous manquait plus que le général de Gaulle. A défaut nous avions le préfet.
La maîtresse de maison recevait pendant ce temps les femmes des chasseurs, enfin celles qui ne chassaient pas et toutes ces dames tricotaient ou brodaient en prenant le thé.
En attendant le repas du soir. Les chambres de la maison étaient mises à la disposition des invités pour se changer. Il n'était pas rare de croiser quelques unes de ces dames en petites tenues. Elles se mettaient belles et sentaient bon pour rejoindre leur mari en costume cravate. Le repas avait lieu, dans une grange spécialement préparée, peinte en jaune et garnie de fleurs de papier. C'était la fête de la ferme, une fois il y eut du homard à l'américaine pour une centaine de convives...La récolte n'avait pas dû être mauvaise.
De mémoire d'enfant ou de jeune homme cette période était extraordinaire. Cela mérite bien d’être rapporté c’étaient nos mœurs, nos traditions, tout un mode de vie désormais perdu, sans regret et fier d'avoir eu la chance de le partager.
Les vacances,
Enfants, nous passions des petits séjours chez nos grands parents maternels, négociants en vin et spiritueux. Mémé de Senonches c'était la douceur, une dame à câlins, elle me faisait faire la sieste, comme j’avais peur du christ accroché dans la chambre elle le rangea dans un tiroir et me dit que je ne risquais plus rien. Elle nous emmenai à la piscine, rare à cette époque pour les petits beaucerons... A sept ans, j’ appris à nager sous l'œil sévère du maître nageur monsieur Perufel. Mon grand père Jules, (j'y pense souvent maintenant ) portait encore les traces de l'enfer de la guerre 1914-18, il avait pris un éclat dans le bras et cela lui avait sauvé la vie. Il avait encore dans son regard l'horreur de cette guerre bien dont il parlait peu. Il me prenait sur ses genoux et me chantait " le temps des cerises" d'une jolie voix roucoulante. Il avait tendance à boire un petit coup, reste des tranchées et de son métier, mais mémé y veillait. Et puis la maison de retraite les engloutit .
Nos vacances d' adolescent, nous les passons la plupart du temps à la ferme, nous avons beaucoup d'occupations, le tennis, la mare, nous disposons d’un petit voilier, nous nous y baignons, notre atelier de modèles réduits d'avions et les travaux des champs , la moisson, différents bricolages et inventions à l'atelier sous le regard attentif de Joseph, et la visite de nos copains...et puis des copines.
Cela dit, chaque année depuis 1955 nous allions une semaine aux sports d'hiver. Courchevel 1850 au tout début de la station. Hôtel des « Grandes Alpes » et puis nous sommes régulièrement descendu d’année en année vers 1600 puis 1550 et Brides les bains Enfin à Tignes et puis À Vars. Une vingtaine d’années de folles descentes de petites frayeurs et toujours d’une intense vie de famille entre parents et cousins.
Quelque fois nous sommes allés à la Baule, en quelques sortes, nous n'étions pas malheureux. Les parents nous avaient même laisser partir en Espagne avec la DS à l'hôtel Rosa-Mar de Lloret de Mar , à nous les petites anglaises...
Le service militaire
Un jour il a bien fallut devenir adulte et donner un peu de temps à la nation.
La chance voulut que Mon oncle Luc sympathise, au bord du terrain de foot , où jouait Guy, avec le général Puech, commandant le personnel de l'armée de terre. Ce monsieur ayant tout pouvoir d'affecter là où il le voulait les soldats de l'armée de terre. De ce fait Guy, avant centre émérite et indispensable de l'équipe de foot d’ Orgerus fut envoyé au plus prés, directement à Rambouillet au 501 de char de combat. Le gentil général se proposait également d'affecter là ou il le voulait bon nombre de voisins et amis. J'ai cru un instant pouvoir rejoindre Tahiti ou autres casernes exotiques. Mes parents s'opposèrent à ce départ vers les terres lointaines , il fut donc ordonné au général de m'envoyer au plus proche, Soit, dans les chars de Rambouillet comme tout le monde. Dommage j'avais raté une belle aventure. En attendant beaucoup de mes parents je n'avais pas le choix d'une désobéissance concernant un avenir proche , celui qu’ils m’établissent dans une ferme…
Mon service militaire, en famille avec Guy puis Patrick, fut une bonne période. Seize mois de sport, et j'étais en pleine forme. J'ai découvert les militaires et un bon échantillonnage de la société française de l'époque. Tous remis à égalité avec une bonne coupe de cheveux, un uniforme neuf recouvrant bien les personnalités et les ego de tous. Elle était bien cette remise à niveau, de l'ingénieur au manoeuvre , du citadin au campagnard. J'ai appris à souffrir physiquement plus que j'imaginais et à comprendre qu'en matière de douleur uniquement l’homme pouvait en supporter beaucoup plus qu'il ne pense. j'ai fait le peloton pour devenir sous officier, sans prétention, j'ai appris à gérer quelques bonshommes. Ce fut une expérience intéressante. Tant chez les militaires, que chez les appelés, j'ai connu des bons gars et quelques imbéciles. Cette proportion semble être restée la même dans toutes les activités et les milieux que j'ai côtoyé par la suite.
En tous les cas la chance était déjà là m’évitant à quelques mois près de goûter à la guerre d’Algérie…avec celle d’Indochine je les avais suivies à la radio…
Le Meilleur
Parallèlement à mon activité militaire se profilait les beaux jours. Deux rencontres allaient se cumuler, l'une professionnelle avec l'achat en 1966 d'une petite ferme en Touraine. Et, la plus importante, la rencontre avec ma Bénédicte . J'ai quitté la première, par trop ingrate, mais la seconde est toujours à mes côtés. ( vaille que vaille )
Si une vie amoureuse n'a rien à voir avec l'exploitation d'une ferme la simultanéité de ces deux évènements les rend indissociables dans mes souvenirs. Ma vie démarrait comme la première page d'un cahier neuf, ce n'était plus pour rire, ce n'était plus de la révolte ou du rêve, les choses sérieuses commençaient, il fallait maintenant assumer.
J'avais à l'époque 22 ans et nous sortions avec notre bande de cousins, sillonnant la Beauce chartraine, dans les soirées organisées de ferme en ferme. Les fameuses surprises parties, qui n'avaient rien de surprise ni de surprenant, à l'exception d'une seule. Nous nous y sommes rendus sans invitation avec mon cousin Remi. Celui ci m'avait dit qu'il nous fallait changer d'air et se rapprocher de la région orléanaise. Nous sommes arrivés dans une grande ferme à Dambron à côté d'Artenay. Dés l'entrée nous fûmes bien accueillis, il y avait beaucoup de gens que nous connaissions à l'exception de la plus jolie, celle dont on rêve depuis toujours , « Blanche Neige, la Belle au bois dormant » un visage de madone, et bien elle était là. Renseigné rapidement par ma cousine Nicole qui semblait la connaître, j'étais fou amoureux, et puis pudeur oblige tout c’est bien passé J'avais trouvé la femme de ma vie. Sans doute qu'elle, n'avait pas compris, non plus ce qui lui arrivait ! Que de chance . A ce moment notre histoire ne faisait que commencer, bien des choses allaient nous arriver, tant de confiance nous nous sommes donner.
Je ne sais toujours pas si j'ai répondu à ses attentes, pudeur oblige, en tous les cas j'en suis toujours amoureux et Benedicte est toujours là.
C'est suite à un accident de voiture dont je me sortais avec une bonne fracture du crâne que nos parents et en particulier mon futur beau père décidèrent qu'il était temps de nous marier.
Pour faire court, le 30 Avril 1970, j'épousais, a l'église, tolérance et amour obligent, ma Bénédicte. Suivit une belle réception au" Grand Monarque". Voyage de noce à Chypre. Je rentrai aussi dans une belle famille adorable, d’honnêtes terriens comme nous. Et retour à la ferme de la Cailleterie à Villedomain en Indre et Loire. J’étais dans cette ferme depuis l’automne 1967.
La propriété est belle, en retrait de la route, une belle maison bourgeoise et ses dépendances que les habitant de Villedomain appelle «le château de la Cailletterie» . Le tout de style tourangeau avec ces belles pierres taillée dans le tuf, cette pierre calcaire tendre de la région. Genre Chambord si vous voyez ce que je veux dire... A une centaine de pas, les bâtiments de la ferme, la maison des gardiens, puis le chemin menant aux champs jusqu'à la digue d'un étang magnifique, récipient de soixante-dix hectares de terre froides et humides en hiver puis dures comme du béton dès le printemps. Bénédicte débute sa vie d’agricultrice en plantant des betteraves à graines, courageuse, elle le sera toujours.
Notre vie commune débute ainsi dans cette belle maison et cette mauvaise ferme, le tout plein d'espoir.
L’exploitation c'était agrandie par le rachat en viager d'un domaine voisin dont j'avais "séduit" le propriétaire, un brave bonhomme, sa gentillesse à l’égal de son alcoolisme. Nous cultivons désormais 150 ha. Les parents viennent régulièrement nous rendre visite et constater tous les efforts faits pour donner à la ferme l'allure d'une ferme de Beauce.
Nous y parvenons, la forme y est, mais hélas, pas le fond, chaque années nos espoirs s'évanouissent, à la moisson les rendements ne sont jamais ceux attendus. Chaque année nous recommençons avec espoir, sans nous décourager.
Notre château est tempéré par un poêle à fuel d'atelier, installé dans la grande cage d'escalier. Il chauffe et libère son odeur de fuel dans toute la maison. Philippe mon beau père qui veille au confort de sa fille, nous fait installer le chauffage central.
Pour le reste, arrachage des haïes, bouchages des chemins creux, drainage, arrosage, création d'étang, aménagement du séchoir et stockage des céréales , nous donnons le maximum à cette région ingrate.
Nous ne sommes pas seul, nos voisins Claude Marot et Jean Pierre Mauger deviennent de bons amis, étant comme nous des migrants confrontés aux mêmes difficultés. Nous pensions qu'il ni avait pas de mauvaises terres mais seulement de mauvais agriculteurs et bien nous révisons nos jugements.
Malgré tout, notre aventure tourangelle fut une très bonne expérience, j'appris beaucoup de choses. Elles me servirent plus tard pour la construction du golf. J'ai compris qu'il ni avait pas que la Beauce, j'ai appris que l'échec pouvait être motivant, j'ai appris la bagarre, la lutte et peut être un peu le courage, j'ai appris que la chance , elle aussi se cultive. J'ai compris que j'avais une femme merveilleuse, aussi solide qu'un roc.
L’aventure de Touraine se termine en septembre 1972
Une expérience , « une fois les choses comprises cela devient routine, rien ne sert qu'elle continue. »
Civry la Forêt
La ferme de la Civry à notre arrivée en 1972
Mon oncle Luc apprend que la ferme de la famille Vernes, à Civry la foret, commune voisine de Mulcent est à vendre. Il nous fait part de cette opportunité. L'occasion est trop belle. Philippe , mon beau père nous aide à nous installer à la ferme de la Civry. Notre amis Jean Pierre fait son affaire de la vente de la Cailleterie et nous nous installons dans un logement ouvrier où nous réactivons le vieux poêle à fuel.
La ferme fait 140 ha, les terres sont correctes une centaine d'ha sur le plateau et une quarantaine en rupture de pente s'écroulant vers le lit de la Vaucouleurs, une petite rivière qui coule aussi dans les tableaux des impressionnistes. Les bâtiments sont importants et j'en démolirais une bonne partie, gardant l'essentiel.
J’espère aussi que nous pourrons faire de belles choses ensemble avec mes cousins retrouvés…
Il y a un peu d’ordre à remettre, quelques sources à capter et des haies à arracher , de la rigolade à côté des travaux effectués en Touraine. Je reconstruit un séchoir à maïs, transforme des bâtiments en stockage de grain et cette fois les moissons sont bonnes.
En 1974 avec mon ouvrier, Paul Moussay, grand gaillard rouquin, normand, inépuisable, nous entreprenons la rénovation de la maison de la ferme. Ce n’est pas le petit château tourangeau mais nous y avons tout le confort et petit à petit la maison prendra sa forme actuelle de belle demeure, enfin pour nous.
Nous profitons désormais de notre famille , nos cousins et nos amis, nos voisins nous accueillent très gentiment et nous nous intégrons bien dans le village. Avec Bénédicte nous ferons chacun 3 mandats comme conseillers municipal.
En 1976 j’ai l’opportunité d’ aller au Canada avec mon ami Jean Pierre Mauger pour mettre une ferme en route au Québec. Je pars laissant Benedicte seule, mon père s’occupera des semis de maïs. Nous profitons du séjour au Canada pour visiter la Louisiane et regagner New York en voiture, un beau voyage instructif et spartiate. Nous grimpons dans la première des Twin-Towers à peine terminée. Je suis emballé par l’Amérique, j’y trouve ce que j’avais imaginé, ce dont l’Amérique pouvait encore me faire rêver .
Retour un peu anticipé, Bénédicte me manque , papa a semé les maïs un peu trop creux à mon goût, fort heureusement, il ne tombera pas une goutte d’eau avant le 15 septembre et les maïs lèvent convenablement. Grâce à ces semis nous nous sortirons à peu près bien de la plus grande sécheresse de ces 70 dernières années.
Suite à cette sécheresse, je crée le grand étang au bord de la Vaucouleurs pour arroser quelques cultures. J’ai les premiers démêlés avec l’administration, qui tarde à me donner les autorisations, elle ne peux que constater que les travaux sont terminés. Devant les faits accomplis, trop lentement, mais intelligemment les responsables me donnent les autorisations nécessaires , l’étang est plein.
J’ouvre la pêche à la truite, prenant le model de mon cousin Yves Barrellier dit « Pinson »
Sur le plateau je plante 4 ha de fraises , fleurs et légumes et divers, les clients pourrons venir eux même les cueillir.
De la diversification agricole il y en aura ! Ce sont des activités prenantes Bénédicte assume toutes mes fantaisies, à vrai dire pas toujours payantes.
J’oublie, une année de pommes de terre en 1977 , les prix se sont écroulés et les patates invendables finiront à la décharge, fiasco complet.
Les fraises « à cueillir » finissaient souvent par une bonne attaque de Botrytis et ça sentait les fraises pourries à deux kilomètres à la ronde. Parfois un orage mettait fin avant l’heure à la récolte. Je reconnais que mes projets se désintégraient sans doute faute de persévérance et souvent bousculés par d’autres projets…
La pêche à la truite par contre était rentable, il suffisait de stocker des truites dans un bassin alimenté en eau courante, à condition qu’il n’en crèvent pas trop, et de les redistribuer devant les pêcheurs en prenant une bonne marge. Évidemment c’était toujours contraignant, les jours fériés il fallait être là.
Pierre et Marie
Pendant tout ce temps il y a un autre combat à mener, nous n’avons toujours pas d’enfant ! Nous sommes malheureux, les cousins , les cousines dorlotent déjà des bébés. Bénédicte a beau donner son amour maternel à son neveu Benjamin, il n’y a pas le compte. Depuis la Touraine nous allons déjà faire des examens tous les deux à PARIS. Les tentatives d’insémination et traitements diverses échouent désespérément. J’imagine très bien adopter des enfants . Bénédicte n’y est pas prête, cette décision est sûrement plus compliquée à prendre pour elle. Nous dînons à Prunay chez nos cousins Sophie et Patrice Dard, eux ont adopté Ahn, une petite coréenne. Au cours du dîner Sophie raconte son adoption et ce soir là Bénédicte comprend tout le bonheur qu’on peut en attendre .
Deux Avril 1981
Il faudra une bonne année pour que nos désirs se réalisent. Et maintenant tout passe si vite, que je les ai vu à peine grandir…
Ce soir j’ai 76 ans quand j’écris ces lignes j’ai deux enfants merveilleux.
Pour l’anniversaire des 20 ans de leur arrivée je leur écrit ce petit mot qui, je crois en dit long sur leur place dans notre vie :
2 Avril 2001
Maman pense à tout, maman n'oublie jamais rien, maman à toujours raison et parce qu'elle sait qu'avec un peu de temps je peu aligné quelques phrases, je vais donc essayé de vous faire partager un peu l’émotion de votre arrivée il y a juste 20 ans, en espérant que mes larmes n'altéreront pas trop le clavier de mon PC.
Le retour en arrière , n’est pas ma grande spécialité pensant toujours qu'il faut favoriser et profiter au mieux de l’instant présent.
l’instant dont je vais vous parlé est tellement fort qu’il n a jamais rejoint le passé, comme ces souvenirs qui dérivent doucement vers l'oublis. Non cette histoire extraordinaire est le fil de notre vie à tous les quatre.
La bobine se déroule depuis 20 ans. La bobine, enfin les deux bobines vous les connaissez.
Ce n'est pas une mince affaire. La nature et la société n’arrangent pas toujours les choses aussi harmonieusement qu’on le voudrait. Alors, il y a bagarre, avec les tabous, l’amour propre, les médecins, l’administration, avec les cons, avec le temps , c’est long le temps d’attendre. Enfin on arrive toujours à maîtriser un peu son sort. Et puis la chance ça existe aussi.
La difficulté prend du temps mais elle en donne aussi, le temps de désirer, le temps de rêver, le temps d’emmagasiner beaucoup d’amour. C’est comme ça qu’un jour…
« Jacques on a nos petits, des jumeaux, un garçon et une fille ils sont nés le 16 Septembre » et puis 2 photos, pourquoi deux , parce qu’on en voulait deux. 2 photos aussi floues qu’une échographie avec une date, des numéros, des noms et puis un bulletin de santé et puis pas grand chose, et moi après tout j’ai de l’engrais à mettre sur les blés , le temps passe, j y pense comme quelque chose de normal, pas comme un évènement majeur parce que dans ma tête et dans mon cœur tout est prêt et puis pour le stressant et le quotidien j’ai quelqu’un sur qui compter. Du stress et de l’amour elle en a à revendre. Tous les deux on vous attend tellement.
L’avion est annoncé le deux Avril 1981. J’ai tapissé la chambre. Il y a des couches, des lits, des vêtements. Comme je vous le dis je suis fin prêt, toute mon inquiétude (car j’en ai aussi, s’est réfugiée chez votre mère) comme ça c’est plus facile pour moi, je ne savoure plus que le bonheur.
Nous sommes prêts, Le voyage jusqu’à Orly est pénible Anne Françoise est venue partager et apaiser l’émotion. de sa sœur . Combien de fois ai je dû ralentir ou m’arrêter à cause de soi disant oublis, l’eau , les couches, les biberons enfin le stress d’ un accouchement…Maman est dans tous ses états mais comment peut-il en être autrement.
Comme j’aime bien les avions j’essai de voir le 747 se poser comme une grosse cigogne. Je ne sais pas si je l’ai vu ou si j’ai rêver. Mais si je l’ai vu, la fumée bleue de ses énormes pneus touchant le sol, j’ai entendu, l’oreille sur la vitre, les turbines approchant cette masse de technique au service de notre de bonheur.
En tous les cas les paquets sont arrivés. C’est indéfinissable. c’est à la fois un accomplissement, une récompense, c’est plein de sentiments étranges entre le bonheur et l’inquiétude. Parce que les deux petits ils n’arrivent pas des « trois suisses » ça bouge, ça pleure et puis c’est pas vrai, ça sourit mais ça sourit un sourire qui vous fait prendre toutes vos responsabilités un sourire d’amour et de bonheur un sourire comme la signature d’un pacte irrévocable. Enfin je vous jure que c’est quelque chose !
Maman qui a malgré tout une bonne expérience des nourrissons me rassure tout de suite Marie est belle, elle à des traits fins.
Pour Pierre elle me dit que ça va s’arranger. Là encore elle ne s’est pas trompée bien qu’on puisse avoir quelques doutes sur le moment. Enfin j'ai les deux dans les bras , ils ne sont pas bien lourds, je les aime. Maman en plus de l'amour fait les gestes maternels plus réalistes et techniques couches biberons etc…
Il y a là d’autres enfants et d’autres parents heureux et inquiets et deux enfants déjà grands dont les larmes et le chagrin nous rappellent la réalité, la votre aussi.
La dame qui vous accompagnait, après vérification nous a remis vos passeports et des documents que maman a toujours gardé à votre disposition pour que les petits Pelard sachent toujours qu’ils ont été et sont aussi les petits Kim
Malgré tous ces ateliers l’exploitation d’une ferme de 140 ha insuffisante. En 1981 Mitterrand est élu président de la république, la gauche m’inquiète et nous partons cette fois, avec Bénédicte, les Parents et notre cousin Gilles Benoist, en Californie. Xavier mon beau frère en revient , il à visité de belles régions agricoles autour de Visalia, au bord de Sequoyah Park. Le voyage instructif reste un très bon souvenir de cette escapade américaine, mais après la visite de plusieurs exploitations j’ai compris que l’Amérique ne nous attendait pas. Quoi qu’il en soit j’étais heureux d’être là avec ma femme et mes parents et partager ce semblant d’aventure.
Il fallait donc retenter l’aventure ailleurs ou autrement.
J’aime toujours la vie des champs, j’aime faire pousser du blé, tenter de faire des récoltes record comme le voulait l’époque. Payé récompensé pour produire, l’aventure céréalière battait son plein et les records de production tombaient tous les ans avec le club des 100 quintaux. Nous étions des champions, comme des sportifs en quête de performance. Avec Jean Pierre Mauger nous traitons nos cultures en bas volume, c’est à dire peu d’eau avec des doses réduites de produits chimiques associés entre eux. Cette technique s’avère très efficace , maintenant condamnée par notre nouveau monde écologique.
Malgré toutes ses activités et la course dans tous les sens à travers la ferme, j’ai l’impression de faire du surplace peut être que je manque d’efficacité ou qu’il me faut tout simplement un nouveau projet . Je n’ai plus confiance en l’avenir de l’agriculture sur une surface trop exiguë entre échecs et réussites, je ne m’amuse plus il me faut sans doute un nouveau projet ……… ça va venir !
1986-2011 le golf de la Vaucouleurs
Je ne reviendrai pas ici sur cette magnifique aventure,
Je l’ai relaté plus précisément dans la brochure intitulée
« Il y avait cette balle de golf qui roulait au fond d’un tiroir »
Oh certes, on a pas révolutionné la planète, ce n’est pas l’ascension d’un 8000, ce golf c’est juste un brin de fierté, un minimum pour donner un sens à la vie, une belle histoire, de belles rencontres, un beau golf.
Malheureusement le repreneur n’a pas été à la hauteur de ce que nous en attendions .
Ayatollah de l’écologie, dédaigneux de la clientèle, incompétent en management, son compte en banque n’a pas suffit à entretenir le rayonnement de notre entreprise.
Cela est un peu triste mais dans l’histoire de « la Vaucouleurs » restera peut être le nom de ces créateurs.
Mon associé Jean Claude Le Goff, de me dire « hé Pelard, tu vois , que nous étions quand même bons »
Bien sûr, je ne dirai jamais assez ma reconnaissance à tous ces gens qui m’ont aidé a réalisé ces fantasmes . J’avais des rêves et ils les ont réalisés.
Retour à la grande liberté , il est temps de faire le point. Après 24 années d’association il était temps que chacun reprenne ses billes Jean Claude avait 74, ans le temps de se reposer après 60 années de travail. Seule la vente de la société et des terrains permettait cette conclusion honorable. Nous ne devenons pas milliardaire mais nous disposons tous les deux d’un bon capital, pour consolider nos retraites.
Je ne reviens pas sur les qualités de l’acquéreur, il avait l’argent c’était déjà bien.
Le retraite l’heure du bilan
J’écris ces ligne en février 2022 j’ai déjà bien entamé mes années de retraite. Je peux donc en parler, rien ne sert d’attendre conformément aux statistiques.
C’est bien là le chapitre le plus compliqué
La vieillesse change le regard des hommes, le temps presse, semblant passer de plus en plus vite avant le point final, pas une minute à perdre pour laisser une petite trace. Le paradis des non croyants réside dans le souvenir qu’ils laissent aux vivants , les mauvaises choses s’apparente à l’enfer.
A l’heure du bilan, faire qu’il soit à l’équilibre me semble déjà pas mal, on verra !
Et comme le dit Voltaire, « au moment de sa mort n’avoir rien à regretter »
Donc, en 2011 ( 66 ans) une nouvelle vie commence pour Bénédicte et moi, une vie pleine d’amour de culture et de réflection, une vie pleine d’amis et de famille, une vie confortable allégée en responsabilité, une vie motivée par les lendemains, la santé, le sport la culture, nos enfants et petits enfants, c’est pour eux que j’écris c’est petites mémoires de liberté.
La retraite aussi douce soit elle est le départ du compte à rebours, il est souhaitable de la gérer convenablement…et comme toujours de ne pas perdre de temps.
Bénédicte s’occupe de l’intendance, super active, elle fait vivre notre maison , s’occupe des comptes journaliers, de sa maman, fait les courses, excellente cuisine, reçoit régulièrement des invités. Elle, n’est pas à la retraite. Je comprend, que devant mon activité un peu contemplative elle puisse parfois s’énerver. Heureusement nous partageons beaucoup de passions et d’idées, unis par la politique, la musique, le sport l’amour de notre famille …
J’entretiens le jardin, que j’affectionne, il me reste beaucoup de temps pour rêver, lire, écouter la musique, gribouiller des toiles et écrire des poèmes et ces mémoires.
Depuis huit jours la Russie a envahi l’Ukraine une guerre prête à se mondialiser et j’ai un doute, que ces 76 ans de paix si bien vécu ne s’achève sous l’orage. Je suis toujours enthousiaste de tout ce que peut accomplir l’homme mais effrayé par cette société décadente dans laquelle il vit.
Est-il bien judicieux de laisser autant de trace du bon vivre à la veille de temps pénible ?
Les mauvais souvenirs ont tendance, comme la douleur à s’oublier. La vie est ainsi faite de bons moments et de foutus quart d’heure, le bonheur dont je parle en est le fruit, le mauvais fait apprécier le bon et le bon demeure.
Et bien sûr de ma mémoire ressort plutôt les bonnes choses et ne croyez pas que tout se soit toujours bien passé !
Le Bonheur, se cultive. J’ai vécu dans une famille où il n’était pas de bon ton de l’afficher, sauf peut être devant un bon perdreau au choux. Il y a des limites à s’extérioriser béatement mais pas de honte a le cultiver. Atteindre au bonheur c’est aussi fixer la barre au niveau de ses moyens physiques, intellectuels, un peu au dessus car le bonheur se mérite. Sans ambition pas de réussite et trop d’ambition non plus. Le bonheur demande de l’effort ne serait ce que pour acquérir un minimum de culture.
Apprécier son sort en le comparant au pire, ainsi devant la souffrance j’ai souvent pensé aux soldats de 14-18 dans la boue, le froid, les rats, arrachés, à leur famille, à leurs amours, à leur vie, cela relativise bien des douleurs. S’entraîner à résister au mal fait partie des moyens d’accès à la joie de vivre. A ce sujet il suffit d’être un peu sportif pour le comprendre.
Savoir se satisfaire de son sort est un élément du bonheur.
L’accès à la culture , c’est un sentier vers le bonheur. Face à la société de consommation il faut savoir voyager avec un livre, regarder un beau ciel, un soleil couchant, écouter de la musique l’éveil à l’art et libérateur de bien des contraintes.
La liberté parlons en, j’ai beaucoup de chance d’être libre dans un pays libre, libre de mes mouvements, de mes pensées, bien que cette liberté ait diminuée au cours des 50 dernières années. La vie en société est ainsi faite que plus nous sommes nombreux plus l’ espace de liberté diminue
La liberté est un combat, elle s’acquiert et se préserve et il faut bien dire, elle a aussi ses limites, vivre libre repose sur une déontologie Ainsi notre pseudo révolution de Mai 1968 où le mot d’ordre était « interdit d’interdire »c’est révéler le début de nôtre décadence par une anarchie déguisée.
Le bilan : j’ose espérer qu’il est trop tôt pour faire le bilan d’une vie qui n’est pas tout à fait terminée. J’ai quand même une petite idée dans mon cas d’en avoir profité largement. Faussement courageux mais capable de me surpasser dans certain cas, assument mes fantasmes, mes passions, voire mes erreurs et faisant a priori confiance aux gens, j’ai eu beaucoup de la chance avec Bénédicte une épouse, une assistante, une mère extraordinaire et mes collaborateurs et associés exceptionnels. Grace à leur fidélité et à leur implication je suis sorti de tant des guêpiers dans lesquels mes rêves mes projets. rêveur, entrepreneur, inconscient, curieux
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